Affaires de Justice

28 septembre 2009

Béotien du droit (sauf celui des épais contrats que je suis parfois amené, bien malgré moi, a relire en détails pour y traquer la petite erreur sournoisement tapie dans une clause indigeste), l’actualité m’amène a essayer de mettre en parallèle quelques affaires judiciaires récentes pour faire ressortir deux caractéristiques qui me paraissent assez inquiétantes pour notre justice, et partant, notre démocratie.

Le premier de ces traits est la « victimisation » de la justice.

Depuis quelques années, la France a vu se développer une tendance selon laquelle le tribunal doit, en plus de sa fonction de juge, offrir une tribune pour satisfaire le besoin de reconnaissance des victimes.
Une illustration « théorique » de cette exigence de reconnaissance tient dans le projet de loi de faire comparaitre pénalement des accusés irresponsables (psychologiquement ou mentalement) dans ce qui ne pourrait être qu’une parodie de procès (puisqu’un procès ne saurait advenir légitimement que s’il y a responsabilité des parties).

Pour autant que ce besoin d’écoute soit en soi respectable, il me parait dangereux que la Justice soit le lieu institutionnel de la satisfaction de cette demande. En réalité, le tribunal est essentiellement, et d’une certaine manière exclusivement, là pour « juger au nom du peuple français ». C’est-a-dire pour établir les torts, les redresser et couper court a toute vendetta personnelle.
Ceci ne signifie pas que les arrêts, jugements et condamnations ne sauraient satisfaire les victimes, mais que leur satisfaction complète ne saurait être le moteur intrinsèque et unique de notre Justice.

Au travers de deux affaires très fortement médiatisées, l’actualité nous fournit deux exemples plus « pratiques » de cette tendance et des dérives qui en découlent.

La première affaire est évidemment l’affaire Clearstream. En dénommant les prévenus de cette affaire comme « coupables », dans un lapsus malheureux et sans doute pardonnable au regard du décalage horaire et des pressions d’un meeting international, le Président fait preuve de l’engagement dont on le sait coutumier (car, après tout, quelle partie civile ne serait convaincu de la « culpabilité » de ceux qu’elle traine en justice ?).
Mais en l’espèce, le soupçon d’instrumentalisation de la justice par la victime tient évidemment aux responsabilités du plaignant dans la République… plus que n’importe quelle autre, cette affaire souligne le décalage possible entre l’indépendance de la justice et le désir de reconnaissance d’une partie civile qui réclame (très probablement a juste titre) de voir son préjudice reconnu.

Si la première affaire tient de la farce politique, la seconde affaire tient de la tragédie sociale puisqu’il s’agit du procès Halimi. Sans préjuger de ma position sur l’atrocité des crimes commis dans cette hideuse affaire, force est de constater que l’appel du Parquet dévoile également cette tendance de personnalisation de la justice.
Non qu’il ne soit pas justifiable (c’est le droit inaliénable des victimes que de trouver que la peine prononcée est trop faible au regard des crimes commis) mais parce que cet appel fait ressortir la contradiction même d’une justice qui aurait « fait son travail » (avec toutes les méandres que ce type de jugement nécessite) et qui pourtant se désavouerait elle-même sous la pression des victimes.

Le second de ces traits est le mépris même du procès.

Théoriser cet aspect m’est assez difficile, tant mes activités quotidiennes sont éloignées de celles du monde judiciaire.
Il me semble pourtant pouvoir lire dans la société cette tendance effrayante, comme si l’exigence de reconnaissance des victimes avait provoqué en miroir un besoin de clémence envers les accusés, au point d’en venir a haïr jusqu’au principe fondateur du jugement.
Comme si l’exigence de reconnaissance des victimes avait généré en double hideux un besoin de reconnaissance des circonstances, circonstances telles quelles permettraient a l’accusé même de se prémunir du cours de la justice.

Ici aussi, l’actualité nous fournit deux exemples « très pratiques » de cette tendance et des dérives qui en découlent.

L’exemple le plus récent est l’affaire Polanski qui défraye actuellement la chronique. Bien incapable de me prononcer sur les faits, la procédure ou même les circonstances, je ne peux que constater l’appel de certains hommes politiques ou de personnalités culturelles françaises a s’affranchir de l’espace judicaire lui-même.
En prêchant pour la remise en liberté de Roman Polanski, c’est le fondement même du jugement qui est remis en question. Comment croire en effet que la Justice puisse s’accomplir si elle « ne passe pas » comme le veut l’expression coutumière ?
C’est le procès, pour autant qu’il soit équitable (c’est-à-dire contradictoire et basé sur des lois qui ne seraient pas iniques), qui est seul a même de dire le juste de l’injuste. C’est en privant Roman Polanski d’un tel procès, et a vrai dire, en se privant lui-même de cette procédure, que la justice s’affaiblit.

A relire les déclarations outrées et les appels a la remise en liberté, comment ne pas se remémorer l’affaire Battisti ? Comment ne pas s’étonner, une fois de plus, que les partisans farouches de la justice (certes sociale) soient ceux qui demandent le plus fort a la voir bafouée en exemptant un suspect d’un procès seul a même de faire toute la lumière et de juger ?

Puisque l’affirmation selon laquelle les tribunaux italiens ou américains seraient dictatoriaux ne tient pas une seconde et ne ferait a vrai dire pas honneur a notre lucidité, on peut se demander sur quelle légitimité morale s’appuie l’exigence d’une clémence injuste puisqu’infondée ?
La seule clémence « juste » ne saurait être que celle rendue par un tribunal qui déciderait, au delà la véracité des accusations, de faire preuve de clémence. Ou par une grâce présidentielle, qui serait alors d’un autre ordre, un ordre politique.

 

C’est parce qu’il déplace le point d’équilibre du juge vers la victime, que le mouvement de personnalisation de la justice me parait maladif. Intrinsèquement, il entre en contradiction avec l’axiome qui veut que ce ne sont pas les victimes qui rendent justice mais bien l’ensemble du peuple français.

C’est parce qu’il cherche a réduire le périmètre du jugement par un a priori favorable mais illégitime que le mouvement d’exemption du procès me parait inquiétant. Intrinsèquement, il entre en contradiction avec l’axiome qui veut que la justice s’applique a tous, non pas nécessairement par la même condamnation, mais au moins par les mêmes juges.

Tiraillée entre l’exigence de reconnaissance des victimes et la demande de clémence, je crois que notre justice bataille aujourd’hui pour défendre son rôle démocratique contre des ennemis qui avancent plus déguisés que jamais sous le couvert de la bonne conscience.

4 Réponses to “Affaires de Justice”

  1. Vigilante Says:

    Polanski’s crime of statutory rape may have resolved itself as a victimless crime by now with his undisclosed settlement with Samantha Geimer. But his crime of flight to evade justice has not been resolved. And it cannot be resolved until such time as he is remanded into custody of the same court from which he has been a fugitive for three decades.

    dura lex, sed lex


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